paru dans Universités & Territoires n° 148 du 09/06/2021

Dans cet entretien, Philippe Campinchi, Délégué général de l’AIRES, aborde l’intégralité des sujets propres à la question des résidences étudiants et services. Parmi eux, aussi bien ceux qui fâchent que ceux qui rassurent experts et professionnels : le risque du gré à gré promu par les CROUS, les interrogations concernant le périmètre du Plan 60 000, l’utilité sociale des résidences privées, la géographie préférentielle, la pratique de la médiation, la pérennisation prochaine du court-séjour en résidence universitaire et la question du pilotage du Plan 60 000…

Pourquoi, le 16 mai dernier, avez-vous écrit aux Présidentes et Présidents d’Université ?  

Pour répondre à cette question, permettez-nous de poser quelques éléments de contextualisation. Un protocole d’accord entre la CPU, l’USH et le CNOUS a été signé en octobre 2020. Il se présente comme un « Protocole pour la mobilisation de l’ensemble des acteurs en faveur du logement des étudiants et des jeunes ». Pour autant, ni le Groupe Action Logement, ni la Conférence des grandes écoles, ni l’Association des villes universitaires de France, ni les organisations représentatives étudiantes (dont la première d’entre elles, la FAGE), ni bien entendu l’AIRES, n’ont été sollicités pour être signataires. Quelques mois plus tard, le 29 mars 2021, au cours d’une audition devant le Sénat, nous avons découvert que le CNOUS souhaitait « bénéficier d’une dérogation pour procéder de gré à gré sur les campus universitaires. » Ceci nous a surpris… car si les universités sont autonomes, pourquoi la question du logement devrait-elle passer par l’Etat centralisateur ? De nombreux établissements d’enseignement supérieur tiennent pas forcément à confier exclusivement les logements étudiants aux CROUS, tant la diversité de l’offre est la meilleure des garanties pour favoriser l’attractivité internationale des universités et des territoires. 

Nous avons donc cherché à comprendre et à nous renseigner sur la signification du « gré à gré ». L’AIRES s’est dans un premier temps adressée à la Mission 60 000. Sans succès.  Dans un second temps, nous avons sollicité le Cabinet Sphère Avocats afin de savoir si l’attribution d’autorisations par une université, au profit d’un CROUS et pour la valorisation du foncier, pouvait intervenir sans déroger les principes d’impartialité et d’égalité de traitement. 

Le document que vous  avez rendu public fait 17 pages. Que dit l’analyse juridique de Sphère Avocats ? 

Cette analyse détaille, d’une part, le risque contentieux qui pèse sur une université qui s’engagerait dans une politique de gré à gré avec un CROUS, et permet désormais, d’autre part, à l’ensemble des parties prenantes de pouvoir agir en parfaite connaissance de cause. La vision hégémonique défendue par la Mission 60 000 ne répond ni à la demande d’attractivité des établissements et des territoires, ni à celle des étudiants :  pouvoir disposer d’un logement autonome pour réussir leurs études. 

Les CROUS ne sont-ils pas les partenaires des universités ?  

L’AIRES considère que les CROUS ne sont pas « les »  mais « des »  partenaires des universités. Nous décrivons la réalité du logement en résidence dédié. Elle se répartit en trois familles : le parc des 175 000 logements CROUS, celui des 60 000 logements du parc social (bailleurs sociaux en direct ou associations) et enfin les 140 000 logements du secteur libre. Nous  précisons simplement qu’il s’agit de partenaires, au même titre que d’autres acteurs du logement étudiant. 

Les CROUS ont été crés en 1955 pour accompagner 150 000 étudiants. Aujourd’hui, le nombre d’étudiant avoisine les  2,7 millions, et l’enseignement supérieur ne se réduit plus aux seules universités. Or, force est de constater que le modèle CROUS n’a jamais vraiment été ré-interrogé. 

Pendant des dizaines d’années, ils ont été les parents pauvres de l’enseignement supérieur. La crise du Covid a montré qu’il était important de réhabiliter les vieilles résidences, et les CROUS vont à ce titre bénéficier de plus de 250 millions d’euros dans le cadre du plan de relance national. Ces aides devraient leur permettre de répondre à leur mission de service public, qui est d’assurer, en premier lieu, le logement des étudiants boursiers. L’analyse statistique du nombre d’étudiants boursiers logés en CROUS tourne d’ailleurs, aujourd’hui, autour de 60% : ne devrait-il pas être de 100% ? 

100% de boursiers dans les CROUS, ce sujet est effectivement rarement abordé… Pourquoi les pouvoirs publics ont-ils tendance à s’adresser exclusivement aux CROUS

La crise sociale étudiante est très massivement partagée, et ne touche pas uniquement les 6% de jeunes logés au sein du parc des CROUS. Par confort sinon routine consensuelle, le Ministère de l’Enseignement Supérieur, un gouvernement après l’autre, a pris la mauvaise habitude de s’adresser exclusivement à l’opérateur public – le CNOUS – lorsqu’il s’agit de prendre des mesures et de faire des annonces.

Celle portant sur le blocage de l’indexation des loyers dans les résidences CROUS en est un exemple. Une lettre ouverte au Président de la République, initiée par la SMERRA et signée par des acteurs du monde étudiant, rappelle que « C’est la ”Nation étudiante” qui a besoin du soutien de la République, pas une partie ou l’autre d’elle. » Actuellement, ce point d’équilibre peut difficilement être atteint car le pilotage du logement étudiant est en panne… Il a perdu en 2019 toute dimension interministérielle. Cette incapacité à penser et appréhender la multiplicité des solutions d’hébergement est problématique mais ne reflète pas la réalité. 

Vous dites qu’elle « ne reflète pas la réalité » mais Pourtant, l’édition de Libération du 5 juin 2021 ne dévoile-t-elle pas  «  un fiasco, avec seulement 16 327 logements construits » ?

Le Plan 60 000 logements (étudiants) et 20 000 logements (jeunes actifs), issu d’un engagement du Président de la République, est effectivement au point mort. Il est confronté à deux difficultés principales. 

La première concerne le périmètre même du Plan, qui s’est auto-limité au seul secteur du logement conventionné. Par conséquent, les résidences construites en libre par l’Université Paris-Dauphine et sa filiale Dauphine Housing, comme celles qui pratiquent des loyers garantis par VISALE, qui sont produites dans des villes moyennes grâce à l’épargne des particuliers ou qui sont exemplaires en termes de développement durable ou de services innovants, sont ignorées par la puissance publique. L’AIRES a recensé, auprès de ses adhérents, le nombre de logements produits qui ne sont pas recensés dans le Plan. Les exploitants ont produit, entre 2018 et 2021, 13 204 logements avec les aides de l’Etat auprès des particuliers (Censi-Bouvard, LMNP) et 6 518 via des investisseurs en bloc. Il y a donc une autre lecture possible ! Une lecture plus positive de la politique mise en oeuvre par les pouvoirs publics est envisageable. 

Laseconde difficulté concerne le logement conventionné en tant que tel. Les bailleurs sociaux, qui exploitent en direct ou qui confient à des associations ou des CROUS, se démènent comme ils peuvent. Le blocage est avant tout institutionnel. Le FNAP a voté le 3 mars 2020 un nouvel objectif de 10 000 logements étudiants et jeunes actifs. Chaque année, des objectifs sont fixés, des crédits réservés et, comme chaque année, ils ne sont pas atteints. L’année suivante, on recommence, en appelant à la mobilisation. Année après année ! L’incantation à la mobilisation et au volontarisme ne servent à rien si les problèmes de fonds, soulevés par les acteurs, ne sont pas débattus et réglés. 

Les bilans ne font-ils pas l’objet d’échange avec les pouvoirs publics ?  

Les retours d’expériences et autres analyses a posteriori ne sont pas véritablement à la mode !  

L’AIRES avait proposé à la Mission 60 000 d’examiner pourquoi certains projets échouent et d’autres aboutissent. Nous avions par exemple suggéré d’aborder le projet de la réhabilitation de la Tour Chimie à Strasbourg, entre 2016 et 2020, mené par Icade et porté par un groupe d’acteurs dont l’un de nos adhérents, Odalys Campus. Sur ce bâtiment ont alors été proposés des travaux de restructuration et une extension, afin de transformer la tour en résidence pour étudiants de 316 logements (260 studios et 56 T1 bis), avec une mixité sociale et privée.  La réflexion et les consultations ont été stoppées net par l’Université de Strasbourg début 2021, pour cause de difficultés économiques. Nous avions proposé d’examiner des projets qui réussissent, comme par exemple ceux menés par l’Université de Dauphine ou sur le Campus Condorcet avec le témoignage d’ARPEJ,  un autre de nos adhérents.  Ces propositions n’ont pas été retenues par la Mission  60 000.

On nous vante le concept de  guichet unique sans avoir tiré le bilan de celui de Saclay, qui est compliqué tant pour les établissements que pour les exploitants. On nous invite, en région Île-de-France à des réunions pour échanger sur un Plan d’action et on refuse dans le même temps d’examiner les raisons pour lesquelles des projets sont refusés alors que la totalité des crédits ne sont pas utilisés. 

 Un dernier exemple caricatural illustre l’impasse. L’AIRES avait suggéré la mise en place d’une Commission régionale de conciliation et de médiation. En contradiction totale avec les dispositions de l’article 81 de la LOI n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, aucun dispositif de médiation n’a été inclus dans le Plan, prenant ainsi le risque de renvoyer l’ensemble des litiges devant le juge administratif.

Le rapport sur le court-séjour constitue pourtant bien un bilan !

Oui, vous avez raison ! Cela a mis du temps… Le rapport devait être publié début 2020 et il a été remis au parlement fin mai 2021.  Ce rapport conclut à la pérennisation d’un dispositif autorisant « le gestionnaire d’une résidence universitaire qui n’est pas totalement occupée après le 31 décembre de chaque année à louer les locaux inoccupés, pour des séjours d’une durée inférieure à trois mois s’achevant au plus tard le 1er septembre ». Nous ne pouvons que nous féliciter de la déclaration du cabinet de Mme Wargon annonçant qu’un projet d’amendement serait discuté dans le projet de loi 4D, qui porte sur la décentralisation. 

A propos de décentralisation, quelle est l’utilité sociale et territoriale des résidences privées ? 

Du point de vue du développement territorial de l’enseignement supérieur, cela a historiquement permis de produire des résidences étudiantes dans des villes où le CROUS ne souhaitait pas s’installer, comme Fréjus, Saint-Raphaël ou encore Bastia. Plus récemment, nous constatons que les investisseurs en bloc ne se ruent pas pour investir à Limoges ou Nevers, et que très souvent c’est l’épargne des particuliers, essentiellement avec le Censi-Bouvard, qui est la seule solution pour sortir de terre une résidence pour étudiants. 

Dans le contexte économique de crise que traverse notre pays, il est bon de rappeler que ces résidences sont construites et gérées en France. L’Etat et les collectivités publiques bénéficient d’ailleurs d’un retour de recettes fiscales très significatif. Les exploitants de résidences étudiantes contribuent ainsi à l’égalité territoriale des conditions d’étude des étudiants.  

Quels sont les sujets majeurs qui devraient être mis à l’ordre du jour ? 

Il nous semble indispensable de redonner une dimension inter-ministérielle à la Mission 60 000. La pandémie a montré que la question de l’accompagnement des locataires étudiants était cruciale. La crise du Covid est une invitation à moderniser certaines règles. Ne serait-il pas temps d’intégrer, dans le régime para-hôtelier, Internet et les espaces de co-working comme des services fondamentaux de vie d’une résidence ? Ne faut-il pas enfin traiter la question des charges, avec le cadre du décret de 1987 qui est à l’usage inopérant pour les résidences dédiées pour étudiants et la question des « prestations» (III de l’Article L442-8-1 du CCH) dont les dénominations varient en fonction des exploitants (complément de loyers, loyer annexe, loyer complémentaire, cotisations accessoires, etc.). 

Ensuite, quatre propositions majeures peuvent donner un nouveau souffle :

– Créer un foncier dotationnel pour accueillir les étudiants sur les territoires

– Financer les espaces collectifs

– Etablir un plan global de déploiement de réseaux de fibre optique dans les résidences

– Et développer la construction industrielle comme réponse rapide à la crise.

Enfin, il est impératif de renforcer le pouvoir d’achat des étudiants  en :

– valorisant l’engagement (ou l’emploi) étudiant dans les résidences

– impliquant le service civique dans l’accompagnement au logement

– en autorisant et sécurisant le donnant-donnant en résidence universitaire.  

Comment envisagez-vous la place du logement dans le campus universitaire de demain ?

Ne peut-on pas rêver de résidences satellites de l’Université ? Ne pourrait-on pas imaginer que les résidences deviennent partie intégrante de ce campus augmenté ? Une hypothèse qui, à condition d’être minutieusement envisagée sous tous ses angles, ne paraît pas aussi fantaisiste qu’on pourrait le croire… Dans les faits, si les exploitants de résidence n’ont pas vocation à pallier l’intégralité des manques des établissements d’enseignement supérieur, ils sont les mieux placés pour offrir des lieux et des espaces complémentaires (comme des salles pour les travaux à distance menés collectivement, par exemple) voire, pour ceux qui le souhaitent, développer des ressources propres pour augmenter leur attractivité. n

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Lettre aux Présidentes et Présidents d’Universités avec l’analyse de Sphère Avocats