Philippe Campinchi, Délégué Général de l’AIRES, répond dans cette interview à quelques questions sur la crise du logement étudiant, toujours d’actualité.

Paru dans Universités & Territoires n° 164

Pourquoi le manque de logement étudiant a-t-il été au cœur de la rentrée universitaire ?

Philippe Campinchi :  La raison est simple : l’offre de logements pour étudiants est structurellement insuffisante ; elle ne permet ni d’accompagner la démocratisation de l’enseignement supérieur, ni les nouvelles mobilités que l’on connaît avec le succès d’Erasmus ou celui de l’apprentissage dans le supérieur. Force est de constater que le nombre de constructions ne suit pas la courbe de la démographie et ne permet donc pas de rattraper le retard. Il suffit de rappeler que le nombre d’étudiants internationaux qui ont choisi la France pour étudier dépasse désormais la barre des 400 000. Il s’agit même, selon Campus France de la croissance la plus forte enregistrée depuis plus de 15 ans. Nous considérons qu’il manque au moins 250 000 logements étudiants en France. 

Comment l’AIRES a estimé ce manque ?  

Ph. C. : Le chiffre de 250 000 logements étudiants a été établi à partir d’un calcul prenant en compte le nombre d’étudiants, le nombre de logements et les objectifs de la France. Pour la rentrée 2022/2023, le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation table sur un effectif d’environ 2,93 millions d’étudiants. Ce chiffre correspond à une augmentation de
120 000 étudiants. Ensuite, en 2018, avec la stratégie «Bienvenue France», la France s’est fixé l’objectif d’accueillir un demi-million d’étudiants étrangers à l’horizon 2027. A savoir 100 000 étudiants internationaux supplémentaires par rapport à ceux accueillis en 2023 – comment va-t-elle les héberger ? Bref, une analyse de ces chiffres montre qu’il manque, peu ou prou, 250 000 logements pour atteindre l’objectif fixé en 2011. 

Quelles sont les stratégies d’implantation sur les territoires ? 

Ph. C  : Les exploitants ont tous leurs propres critères d’appréciation pour lancer un projet. L’AIRES n’impose aucune grille et considère que l’exploitant est un professionnel prudent et responsable. Pourquoi ? Un exploitant, qui prend un engagement financier lourd sur une période minimum de 10 années, n’a aucun intérêt à accepter un projet de résidence situé dans une zone géographique trop éloignée des pôles d’enseignement publics et privés ou, de surcroît, à des conditions financières trop élevées qui viendraient compromettre son équilibre financier. La seule méthode qui existe est celle de l’intelligence territoriale.  C’est la boussole qui guide les exploitants : le nombre d’étudiants, le développement universitaire, l’attractivité de la ville, la localisation, les modalités de transports, les offres de logement existantes sont autant de critères à prendre en compte avant la prise à bail. 

Que pensez-vous du concept de géographie préférentielle ? 

Ph. C. : La crise de cette rentrée nous rappelle qu’il faudrait commencer par avoir des logements pour tous les étudiants. Ceci étant dit, ce concept inventé par la DRHIL Ile-de-France se réfère aux seules universités ou établissements de plus de 300 élèves. C’est une erreur manifeste car cette référence méconnaît fortement le tissu régional de l’enseignement supérieur, en oubliant certaines formations…  La définition du concept de géographie préférentielle est basée sur la notion des « 30 minutes de transport en commun » mais cette notion très précise est devenue normative. Dès lors, ne correspondant aucunement à une réalité urbaine cohérente, elle ne fait appel à aucune intelligence de vie étudiante : quid par exemple de l’horaire de passage du dernier bus le jeudi soir ? 

Mme Elisabeth Borne a évoqué dans un discours le souhait de constuire 30 000 logements étudiants. Qu’en pensez-vous ? 

Ph C : Il est surprenant d’annoncer un Plan sans avoir au préalable dressé le bilan et tiré les enseignements des Plans précédents. Néanmoins, cette annonce constitue une marque d’intérêt du Gouvernement et du nouveau Minsitre du Logement. Les différents Plans gouvernementaux (le plan 40 000 entre 2012/2017 et le Plan 60 000 entre 2017/2022) se sont concentrés sur un suivi statistique idéologique, en ne comptabilisant que le logement conventionné – comme si le logement privé n’était pas partie prenante du logement pour étudiant. Va-t-on encore une fois reproduire cette erreur ? L’incantation à la mobilisation et au volontarisme ne servent à rien si les problèmes de fonds, soulevés par les acteurs, ne sont pas débattus et réglés.

Quels sont les freins ? 

Ph. C. : Le premier des freins demeurera toujours la question du foncier. La première des préconisations serait de pouvoir obtenir une simplification et une réduction des délais dans les procédures liées au dépôt, à l’instruction et à la délivrance des permis de construire de logements dédiés aux jeunes… L’AIRES plaide pour la création d’un foncier « dotationnel » pour accueillir les étudiants sur les territoires. Le besoin urgent et quantitativement important de logements pour les étudiants se concentre dans les grandes métropoles, l’Ile-de-France en tête. Or, c’est dans ces territoires que le prix du foncier a le plus « flambé » ces dernières années, rendant difficile la production de résidences étudiantes, tout en gardant des objectifs de prix des loyers conformes au pouvoir d’achat d’une grande partie des étudiants. L’AIRES propose que des terrains appartenant à des propriétaires privés, des collectivités ou à l’Etat, puissent être réservés et affectés au logement étudiant sous réserve que l’exploitant s’engage à respecter le plafond fixé par la garantie VISALE. En Espagne, il s’agit de terrains dits  « dotationnels ». 

Le second frein est lié au rythme universitaire. Si la rentrée est un problème pour les étudiants, elle ne l’est pas vraiment pour les exploitants. Depuis le début des années 2000, les résidences en habitat social ou libre sont confrontées aux changements de rythme de l’année universitaire, avec le succès d’Erasmus et la multiplication des stages depuis l’inscription de l’insertion professionnelle des étudiants dans les missions de l’Université. Quelle que soit la nature de l’exploitant, qu’il soit public, social ou privé, la vacance locative demeure toujours le premier de ses problèmes. Le préavis est d’un mois dans le cas d’un bail meublé, un délai de résiliation souple qui a facilité le turn-over étudiant. D’autres pays d’Europe privilégient un bail ferme, ce qui offre à l’exploitant une gestion plus maitrisé de son taux d’occupation. Bien entendu, le taux d’occupation varie entre résidences universitaires en habitat social et celles en habitat privé, entre Paris et les régions. Il existe dans d’autres pays, comme au Japon ou au Brésil, deux rentrées universitaires qui offrent l’avantage de lisser période de stages et d’étude et qui évitent d’avoir des locaux vides… Comment accueillir des étudiants apprentis et les loger lorsque l’alternance varie entre 2 jours, 3 jours, 1 semaine, trois semaines, etc. ? Ne faudrait-il pas inciter les formations, dans le respect de leur autonomie, à harmoniser leurs pratiques ? n

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