Pendant la période de confinement, très complexe pour les gestionnaires de résidences étudiants et jeunes, et dont nous sortons progressivement, de nombreux articles ont tiré l’alarme sur la situation des locataires, en mettant l’accent sur le cas des résidences Crous. L’Aires a souhaité faire appel à ses membres pour dresser un tour d’horizon plus complet, et sans doute plus contrasté.

Paru dans Universités & Territoires n° 139

Pluralité d’acteurs, variété des situations. En interrogeant les membres de l’Association interprofessionnelle des Résidences étudiants et services (AIRES), on obtient un panorama diversifié des situations, états des lieux et urgences à l’heure du confinement. En premier lieu, suite à l’annonce du Président de la République de la fermeture des établissements d’enseignement supérieur jusqu’en septembre, et de l’organisation par ces derniers d’examens à distance, les résidents ont du choisir de rester confinés sur place ou de partir étudier ailleurs, par exemple dans leurs familles.

Désertion relative

Un quart d’entre eux (sur 3584 environ), selon Sergic Résidence / Twenty Campus, ont opté pour la première option, parfois faute de «plan B». Un chiffre qui grimpe jusqu’à 60% pour ceux situés en région parisienne. « Surtout des étudiants internationaux ou Français des DOM/TOM, qui n’ont pas pu rentrer chez eux, ou étudiants français travaillant principalement en milieu hospitalier. » Selon Dauphine Housing, pour l’Université éponyme, on trouvait aussi parmi eux « des doctorants qui ont continué leur recherche, des Français qui ne voulaient pas rentrer chez eux par peur de représenter un danger sanitaire pour un parent malade, par contraintes matérielles », voire dans l’espoir de « pouvoir reprendre leur job ou travailler plus facilement depuis leur logement étudiant. » Une situation qui a convaincu par exemple la MGEL Logement de porter un « regard particulier sur les étudiants étrangers », lors de « l’étude au cas par cas des demandes de départ en raison du Covid. »

Pour Fac Habitat, d’après son Directeur général Jean-Philippe Trédé, la situation a été plus contrastée : « Une forte disparité selon les secteurs : certaines résidences étaient vides à 75% (la province, principalement, et quelques résidences en Île-de-France), et certaines autres sont restées relativement pleines (85%). Chez ARPEJ, sur les 60% de 8483 locataires interrogés, 55% environ occupaient leur logement pendant la crise. Et Isabelle Dupaquier, Directrice commerciale chez Gestetud, estime à « 38% le nombre de départs effectifs (sur 1585 étudiants) depuis le 17 mars, et vraisemblablement 15 à 20% supplémentaires dans le mois à venir. En outre, un quart des étudiants sont indécis en fonction de la rentrée prochaine. » Du côté de LOGIFAC, si 80% des résidents demeuraient dans leur logement début avril, ils n’étaient plus que 65% fin mai. Quant au site de Saint-Ouen de Dauphine Housing, il compte 105 lits vides sur 190, soit 55%, et mise sur « 70% en juin/juillet. » Pour Les quartiers latins / AppartStudy, en revanche, « nous n’avons pas encore, à ce jour, subi de départ massif spécifique. Nous sommes plutôt inquiets pour les mois de juin à septembre », dans la mesure où dans bien des domaines, la situation reste floue…

Gestionnaires à l’initiative

Face à cette désertion plus ou moins relative, les gestionnaires ont du mettre en place des dispositifs pour venir en aide à leurs résidents restés sur place, au-delà de la simple notification des gestes barrières et de la nécessaire mais parfois problématique fermeture des salles de convivialité : contact direct (via mail, SMS, réseaux sociaux, téléphone) ; informations régulières en physique et dématérialisées : affichage, diffusion de messages sur les réseaux, newsletter hebdomadaire… Des résidences ont également mis sur pied ou bénéficié de groupes Facebook, ou WhatsApp parfois spécialisés (dans la culture et la distribution des pleurotes pour une résidence Arpej !), tandis que les résidents ont pu bénéficier d’un grand nombre de services matériels (mise à disposition partout de gel hydroalcoolique, distribution d’un panier petit/déjeuner chez Sergic Résidence), ludiques (quiz, jeux concours, soirées digitales hebdomadaires sur les résidences du Campus Condorcet / ARPEJ), numériques (internet haut-débit gratuit sur le site de Nanterre de Dauphine Housing) ou psychologiques (plateforme d’écoute gratuite, gérée par une association externe pour ARPEJ ou Dauphine Housing, assistance psychologique bilingue pour Sergic Résidence, appels pour soutien moral sans appel à des prestataires externes pour Fac Habitat). LOGIFAC, quant à lui, a pu compter sur son partenariat avec la mutuelle étudiante Smerra
pour proposer à ses résidents, sous le label #heureuxchezsoi, une campagne sur les réseaux sociaux pour mieux vivre le confinement, « avec des conseils, bons plans, idées d’activités  pour s’occuper le corps et l’esprit – dont une séance de sport hebdomadaire de 45 mn en live, proposée par une intendante et adaptée à un déroulement dans un studio étudiant. » 

Au niveau financier, la fondation d’entreprise du Groupe UITSEM (LOGIFAC) a créé un fonds exceptionnel doté de 100 000 €, destiné aux étudiants inscrits dans un établissement d’enseignement supérieur. Ce qui leur a permis d’adresser « une demande d’aide pour des achats de première nécessité, en compensation d’éventuelles pertes de revenus ponctuels, ou pour assurer la continuité pédagogique à domicile. » MGEL Logement a de son côté décidé de supprimer la cotisation services pour avril, puisque les salles dédiées avaient été fermées, et de créer un « fonds d’entraide pour accompagner ceux étant dans une situation difficile de par la perte de l’emploi étudiant, les salaires moindres des financeurs en raison du confinement, la perte d’emploi… » Dauphine Housing a également proposé, via l’action sociale de l’Université, une aide au paiement du loyer du mois d’avril, une aide financière pour les étudiants les plus en difficulté… Même son de cloche chez Fac Habitat, avec la mise en place d’échéanciers « pour ceux qui ont eu de réelles difficultés de paiements. » Enfin, en termes de présentiel, Gestetud a tenu à rappeler que « la plupart des gestionnaires logés sur place ont fait du télétravail à bureau fermé, et donc étaient présents pour gérer les petits et gros soucis, mais aussi les inquiétudes et débordements. » Idem notamment pour AppartStudy, avec des équipes présentes sur place de 9h à 12h30 puis joignables l’après-midi.

Risques accrus

Sur ce dernier point, la grande incertitude dans laquelle se trouvaient les étudiants et jeunes travailleurs, sur des sites parfois en partie désertés, a pu provoquer quelques excès : « en début de confinement, nous avons eu quelques barbecues sur les toits ou dans les parkings, regrette un responsable de Sergic Résidence, ainsi que des vols de gel hydroalcoolique. » Ont été également relevés quelques cas de grande précarité, comme ces jeunes « qui se sont retrouvés très vite en difficulté pour se nourrir ou acheter des produits de première nécessité », et ont été reçus par les travailleurs sociaux d’ARPEJ, ou d’autres qui ont convaincu Sergic Résidence de « mettre en place des échelonnements des loyers » et de partager tous les bons plans mis en place par le gouvernement, les associations, fondations nationales ou départementales. » Idem chez Fac Habitat, face au constat d’une réelle augmentation des impayés.

Pour les étudiants en général, l’arrêt soudain des petits boulots, pas forcément déclarés,  ou des stages a porté un coup sévère au portefeuille, nécessitant parfois des arbitrages cornéliens : payer son loyer ou s’acheter à manger. Dans le cas de Dauphine, des jeunes partis en mobilité en janvier, à l’étranger, se sont retrouvés rapatriés d’office depuis, par exemple, Shanghai, avec des frais engagés pour le voyage, le logement sur place, définitivement perdus. Autre problématique bien concrète : Fac Habitat avait lancé, juste avant le confinement, « des travaux de réfection assez lourds sur une résidence de Marseille », qui ont nécessité la mise en place d’un coordinateur Sécurité et Protection de la Santé (SPS) spécifique Covid, « ce qui a été plutôt bien vécu par les locataires. »

Avec les soignants 

Au-delà de leur public-cible, des résidences ont mis à disposition du personnel soignant, gratuitement et en fonction des disponibilités, des logements : Sergic Résidence à Loos, à proximité du CHR de Lille ; deux logements à Marseille pour quatre personnes, un logement pour une personne à Montpellier pour AppartStudy ; d’autres logements à proximité d’hôpitaux/lieux de soins pour LOGIFAC… D’autres, comme Anne Gobin pour Arpej, ont pu constater que « certaines structures associatives ou restaurateurs se sont manifestés spontanément : distribution d’aides, de produits alimentaires, de repas… Un bel exemple de solidarité. »

Ainsi, si la séquence que nous venons de passer a mis à jour la grande fragilité d’un certain nombre d’étudiants en résidences, pour des raisons au demeurant très variées, elle a aussi prouvé à la fois la grande réactivité des gestionnaires, et le développement d’élans de solidarité tous azimuts. Et quand certains locataires ont pu quitter les lieux pour poursuivre leurs études dans de meilleures conditions, ceux qui n’ont pas eu le choix ont fait l’objet d’une attention toute particulière de la part des professionnels du logement jeune et étudiant. Reste à établir sans doute un diagnostic moins caricatural que la vulgate médiatique, et plus complet qu’un simple tour de table, pour aborder l’avenir (et les risques de réitérations de cette séquence) l’esprit plus serein.