Suite au confinement, aux évolutions du Plan 60 000 et aux derniers constats, Universités & Territoires tenait à interroger sur l’ensemble de ces sujets Philippe Campinchi, délégué général de l’Association interprofessionnelle des résidences étudiants et services (AIRES). Un échange sans langue de bois face à l’urgence.

Paru dans Universités & Territoires n° 141 

Le 15 octobre, l’AIRES était présente au «comité de pilotage DHUP-DGESIP sur le logement pour les étudiants et les jeunes actifs». Qui était présent ?

Services de l’État, représentant des établissements d’enseignement supérieur, associations d’élus, bailleurs sociaux, exploitants… La plupart des acteurs du logement «étudiants et jeunes actifs», à  l’exclusion des représentants des étudiants. Je trouve anormal que les organisations étudiantes, ne serait-ce que la première d’entre elle, la FAGE, ne soit pas invitée aux comités de pilotage animés par Yves Rauch pour la DHUP, et Jean-François Clerc pour la DGSIP. Les représentants des étudiants étaient, sous le Plan 40 000, autour de la table et ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il y a un an, dans un comité de pilotage, j’avais déjà manifesté ma surprise sur ce point. Je ne connais pas les raisons de ce choix, mais trouve toujours dommage de se priver de la parole étudiante. Le travail de la FAGE sur les questions de logement étudiant est concret : ils ont eu par exemple un rôle majeur sur l’aide alimentaire aux étudiants pendant le confinement. Il est également visionnaire : il suffit de rappeler que la FAGE a été à l’origine de l’extension de la garantie Visale dans le monde étudiant, après discussion avec Action Logement.

Vous venez de faire référence au Plan 40 000… Pouvez-vous nous dire où nous en sommes du Plan 60 000 ?

Vous êtes bien les seuls, à Universités & Territoires, à encore faire référence au Plan 60 000 ! Le Plan 60 000 logements (étudiants) et 20 000 logements (jeunes actifs) qui est, rappelons-le, issu d’un engagement du Président de la République, n’est quasiment plus mentionné. Il a disparu des convocations, des ordres du jour, et les chargés de mission, désignés par une lettre conjointe de
Julien Denormandie et Frédérique Vidal le 29 juillet 2019, n’y font aucune référence dans leur signature.

Les chiffres sont pourtant implacables : 4 471 logements étudiants construits en 2018, et 6 317 en 2019. Le FNAP a voté le 3 mars 2020 un nouvel objectif de 10 000 logements étudiants et jeunes actifs. Avec la crise du Covid-19, nous pouvons aisément imaginer que les chiffres de 2020 ne seront pas au rendez-vous. Mais ce n’est pas cela qui est critiquable. Nous sommes confrontés à un fonctionnement en roue libre : chaque année, des objectifs sont fixés, des crédits réservés et, comme chaque année, ils ne sont pas atteints. L’année suivante, on recommence, en appelant à la mobilisation. Année après année !

N’est-il pas temps de s’interroger sur les raisons profondes de ces blocages, qui entraînent de facto des retards répétitifs ? L’incantation à la mobilisation et au volontarisme ne servent à rien si les problèmes de fonds, soulevés par les acteurs, ne sont pas débattus et réglés. A la veille du confinement, l’AIRES avait par exemple écrit un courrier à
M. Julien Denormandie, autour de la question des prestations annexes, en faisant des propositions susceptibles de booster la construction des logements étudiants en sécurisant une fois pour toute la gestion et la possibilité d’offrir des services et un accompagnement essentiels aux étudiants. Cette question avait déjà été abordée il y a deux ans, lors de la 3ème édition des RDVLE. C’est bien pourtant là l’une des questions fondamentales, qui constitue un frein au développement du logement étudiant conventionné. Nous espérons que la Ministre du logement Emmanuelle Wargon s’emparera enfin de cette question. 

Dans les points d’actualité de ce comité de pilotage, avez-vous abordé la circulaire MESRI-MVL du 25 mai 2020, relative à l’identification de foncier constructible (campus universitaires et autre foncier État), et que pensez-vous du protocole national CPU-CNOUS-USH signé le 2 octobre 2020 ?

Pendant des années une vision hégémonique régnait en France, qui se résumait par une équation simpliste : «logement étudiant = CROUS». Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le Plan 40 000 a eu particulier le mérite de remettre les pendules à l’heure, en pointant du doigt le fait que plus de la moitié des nouvelles productions en logement social étaient exploitées par des opérateurs hors CROUS (associations, privés, bailleurs en direct).

L’identification des terrains par les services de l’État est un point positif à mettre au profit du travail de mobilisation de Messieurs Rauch et Clerc. La liste des sites n’a pas été communiquée lors du comité de pilotage. Si nous avons bien compris, ce sont les services déconcentrés de l’État qui vont organiser des réunions en régions. Nous souhaitons qu’en ces occasions, tous les opérateurs qui gèrent un parc dédié aux étudiants soient invités et associés aux échanges. Nous serons très vigilants sur ce point, mais sommes d’ores et déjà très inquiets car, symboliquement, le protocole CPU-CNOUS-USH ne va pas dans le sens de l’association de l’ensemble des parties prenantes.

Le protocole signé entre la CPU, le CNOUS et l’USH se présente comme un «Protocole pour la mobilisation de l’ensemble des acteurs en faveur du logement des étudiants et des jeunes». Pour autant, ni Action logement, ni l’AIRES, ni la Conférence des grandes écoles, ni l’AVUF n’ont été sollicités pour être  signataires de ce document. Qui peut se permettre, alors, de parler sérieusement d’une «mobilisation de l’ensemble des acteurs» ? Qui peut penser décemment que sans Action logement, sans les élus des territoires, il est possible de «booster» le logement étudiant et celui des jeunes actifs ? Qui peut croire que la gestion du logement étudiant puisse reposer sur le seul opérateur public ? Qui peut imaginer, enfin, que les étudiants des Écoles en soient exclus ?…

Nous sommes très inquiets, mais restons contre vents et marées d’éternels optimistes, car nous pensons que les acteurs locaux disposent de suffisamment de discernement, et feront preuve d’intelligence territoriale – ceci, d’autant plus qu’une offre diversifiée demeure la meilleure des publicités pour les territoires universitaires.

Le rapport d’évaluation du dispositif expérimental sur les courts séjours en résidence universitaire (article 123-IV de la loi n° 2017-86) devait être remis au Parlement en janvier 2020. Où en sommes-nous  ?

Stéphane Khelif, de la DHUP, a remarquablement travaillé, en auditionnant l’ensemble des parties prenantes. Il n’y a rien à redire sur la méthode. Plusieurs points importants semblent retenus : la pérennisation du dispositif, l’ouverture du court-séjour au huit premiers mois de l’année, la nécessité économique pour les acteurs de pratiquer le court-séjour, l’utilité sociale du court-séjour pour des publics jugés prioritaires par l’État, la mise en adéquation avec les réalités du monde étudiant, qui a littéralement explosé avec des cours-séjours universitaires. Tout ceci est donc très positif. Nous attendons, désormais, la publication de son rapport et la communication au Parlement pour que le dispositif soit prolongé.

Nous comprenons le retard pris, avec la crise Covid-19, mais cela risque de poser un problème sur lequel je souhaite attirer l’attention : si le Parlement n’a pas légiféré avant le 1er janvier 2021, la situation risque de se tendre, car les gestionnaires de résidences qui accueillent des publics jugés prioritaires par l’État ne seront plus couverts juridiquement. Ce no man’s land juridique doit rapidement être couvert par le législateur.  n

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