En 2022, le nombre d’étudiants a progressé de 2,5 %, soit 73 000 inscrits supplémentaires. Les effectifs augmentent surtout dans les établissements privés, qui rassemblent un quart des étudiants. Aujourd’hui, la France compte donc 3 millions d’étudiants, c’est-à-dire près de dix fois qu’en 1960. 

Paru dans Universités & Territoires n° 160

Plus de 3 millions ! C’est à partir de ce chiffre qu’il faut analyser et penser le logement étudiant. Or l’offre de logements pour étudiants est structurellement insuffisante, et ne permet d’accompagner ni la démocratisation de l’enseignement supérieur, ni les nouvelles mobilités liées au succès d’Erasmus ou de l’apprentissage dans le supérieur. En effet, une analyse rigoureuse des chiffres montre qu’il manque, peu ou prou, 250 000 logements en France.

L’AIRES réunit un parc équivalent à celui du CROUS, avec d’une part des exploitants de résidences en secteur conventionné (organismes à but non lucratif issus de l’Economie sociale et solidaire), et d’autre part des exploitants de résidences en secteur libre (sociétés commerciales et organismes à but non lucratif).

Aujourd’hui, rien ne va plus : le plan 60 000 est en échec, les CROUS en crise, la production en berne, la précarité étudiante en hausse, le Censi-Bouvard clôturé, les permis de construire des résidences pour étudiants de plus en plus difficiles à obtenir… et pour couronner le tout, la crise énergétique renforce le risque de dépôt de bilan chez les exploitants, en secteur aussi bien conventionné que non conventionné.

C’est dans ce contexte que les Ministres de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et du Logement, qui s’étaient peu ou prou fixé comme règle d’assister aux Rendez-vous du logement étudiant depuis 7 ans pour dialoguer avec les parties prenantes, ont déclaré forfait le 30 novembre 2022 à l’Université de Paris-Dauphine. Mme Sylvie Retailleau a d’autres contraintes et M. Olivier Klein est aux mêmes dates aux Etats généraux du Logement à Marseille. Et cette impossibilité d’intervenir en présentiel n’a pas non plus donné lieu à une visio enregistrée – comme l’a par exemple fait le Président de la République lors du congrès de la Mutualité française en septembre dernier à… Marseille.

Pourtant, M. Olivier Klein a récemment déclaré : « On doit tous se mobiliser pour que le logement ne devienne pas la bombe sociale de demain. » S’il a profondément raison… que faut-il attendre pour agir ?

Faut-il attendre que des actes de désespérance – tel celui de cet étudiant lyonnais de 22 ans qui avait tenté de s’immoler par le feu en novembre 2019 devant un bâtiment du Crous – se multiplient ? Faut-il attendre que des étudiants, au nom de la transition écologique, occupent des immeubles de bureaux vides pour les transformer en résidence – comme le firent Paul Bouchet et la grande UNEF, qui à la sortie de la Deuxième Guerre Mondiale avaient obtenu la réquisition des bordels à Lyon pour loger les étudiants ? Faut-il attendre que des jeunes sans toit renoncent à poursuivre des études et descendent par milliers sur le pavé ?

Une autre voie est possible si l’on a l’ambition de ne pas désespérer notre jeunesse. Cette voie est celle de la refondation – autant utiliser un mot à la mode, qui parle – de la politique du logement étudiant. Au préalable, il faut commencer par “parler vrai” et tirer les enseignements de l’échec du Plan 60 000. En 2021, le Plan 60 000 comptabilisait officiellement 35 926 places proposées… et en 2022 ? Tous les ans, des objectifs sont fixés, des crédits réservés et, comme chaque année, ces objectifs ne sont pas atteints. L’année suivante, on recommence, en appelant à la mobilisation. Mais l’incantation à la mobilisation et au volontarisme sonnent creux si les problèmes de fonds, soulevés par les acteurs, ne sont pas réglés.

Pour créer de la confiance, le b.a.-ba consiste à disposer d’interlocuteurs. Or, la mission 60 000 a perdu ses pilotes et ne donne plus aucun signe de vie depuis des mois. Le comité de pilotage qui réunissait les deux Ministres est tombé aux oubliettes. Cette mission, qui ne disposait pas des pouvoirs d’une délégation interministérielle, s’est rapidement enlisée. Il est donc urgent de nommer un délégué interministériel, dont l’administration d’origine ne serait ni le logement ni l’enseignement supérieur,et dont la lettre de mission préciserait explicitement que le périmètre de logement étudiant ne se réduit pas ni aux CROUS ni au seul logement conventionné.

Le temps des grandes messes, qui ont l’art de prendre beaucoup de temps et d’accoucher d’une souris, est révolu. Une méthode fondée sur la gestion de projets devrait être la nouvelle boussole.  Un sujet, une thématique : qui faut -il mettre autour de la table ? Avec quel calendrier pour le régler ? Et comment mobiliser les parties prenantes sans exclusives ?

Pour être précis et explicite, prenons trois questions fondamentales qui sont au cœur de l’actualité : le foncier qui constitue la pierre angulaire de toute politique de logement, l’investissement sans lequel rien ne peut se faire et le binôme exploitation / pouvoir de vivre des étudiants qui sont étroitement liés.

Tout d’abord sur le foncier, il faut distinguer les fonciers universitaires et privés :

Sur les premiers, c’est l’opacité la plus grande qui règne. Le protocole d’accord entre la CPU, l’USH et le CNOUS signé en octobre 2020 sans Action Logement, ni l’AIRES, ni la Conférence des grandes écoles, ni l’AVUF n’a eu guère d’effet. Cette méthode n’est en effet pas la bonne, car les établissements d’enseignement supérieur, dans leur politique d’attractivité, ont des besoins divers et doivent offrir une mixité de solutions d’hébergement et de logement.

Sur les seconds, c’est la difficulté d’obtenir les permis de construire qui devient la norme. Des projets de résidences sont refusés, parfois au prétexte d’une opposition entre logement familial et logement étudiant, mais aussi pour des motifs plus qu’inquiétants : les étudiants étant jugés “bruyants”, surtout le jeudi soir, ou “pollueurs”, car arrivés en avion du monde entier…

Aussi étrange que cela puisse paraître, les échecs ou les refus ne font quasiment jamais l’objet de retour d’expériences. A Strasbourg, par exemple un projet de résidence dans le cadre de la réhabilitation de la Tour Chimie tombe en désuétude sans explication au bout de cinq ans. En région parisienne, un projet de résidence conventionné est refusé au nom d’une “géographie préférentielle” érigée comme un dogme, sans logique. Là encore, il faut changer de méthode. Sur toutes ces questions, il est urgent de nommer un médiateur du logement étudiant, capable d’examiner avec les parties prenantes ces dossiers qui se perdent dans les sables mouvants.

Pour conclure sur ce point, une mesure simple pourrait être prise, qui redonnerait du souffle. Nous plaidons pour que des terrains appartenant à des propriétaires privés, à des collectivités ou à l’Etat puissent être réservés et affectés au logement étudiant, sous réserve que l’exploitant s’engage à respecter le plafond fixé par la garantie VISALE. Cela permettrait, avec ces terrains dits “dotationnels”, de limiter à la fois le coût du foncier et celui des loyers.

Ensuite, sur la question de l’investissement, il ne faut pas prendre la proie pour l’ombre.  Avec la fin du Censi- Bouvard, nous assistons à un changement de doctrine : selon les auteurs du Rapport d’évaluation, « les investisseurs particuliers, ne sont pas nécessairement des investisseurs avisés, à réaliser des investissements plus risqués qu’en apparence. » L’investisseur en bloc devenant alors le sauveur suprême. Cette nouvelle doctrine risque d’avoir un effet “boomerang” en accentuant les inégalités territoriales.

Les aides fiscales de l’Etat auprès des particuliers ont contribué à l’égalité territoriale des conditions d’étude des étudiants. Du point de vue du développement territorial de l’enseignement supérieur, cela a historiquement permis de produire des résidences étudiantes dans des villes où le CROUS ne souhaitait pas s’installer. Plus récemment, nous constatons que les fonds d’investissement publics ou privés privilégient toujours les métropoles au détriment des villes moyennes. Force est de constater que les investisseurs en bloc ne se ruent pas pour investir à Limoges ou Nevers et que, très souvent, l’épargne des particuliers reste la seule solution pour sortir de terre une résidence pour étudiants.

Il est donc indispensable d’inventer de nouveaux dispositifs d’investissements facilitant les montages, sécurisant les particuliers, contraignant les investisseurs en blocs…  Au travail ! Et nous sommes disposés à y contribuer, dans le cadre d’un pacte de confiance.

Enfin, la question de l’exploitation et du pouvoir de vivre, étroitement liées, sont au cœur des défis.

Regardons objectivement l’horizon qui se dessine.

La nouvelle classification des DPE va par exemple avoir un effet sur le logement diffus pour étudiant. Des logements ne pourront plus être mis sur le marché. La pression sera si forte que d’une part la location au noir risque de se développer (sans possibilité pour les étudiants de bénéficier des APL), et que d’autre part des étudiants risquent de se retrouver “sans toit”. La question de la production et de la transformation d’immeubles de bureaux devient une impérieuse nécessité pour faire face à ce tsunami. 

La hausse du tarif de l’énergie est par ailleurs un autre exemple très préoccupant. Les étudiants qui disposent d’un compteur dans leur appartement devront faire face à ces dépenses. Certes, ils seront protégés par le bouclier des particuliers, mais cela risque d’avoir un impact – avec une montée exponentielle des impayés pour les exploitants. Ceci d’autant plus que ces derniers vont continuer de subir des hausses sans précédents, même si les récentes annonces (avec des dépenses devant représenter 3 % du chiffre d’affaires) vont permettre un réel accompagnement de cette crise énergétique. Ne faudrait-il pas aller plus loin, avec un chèque énergie pour les étudiants ET les exploitants ?

Plus que jamais, il est temps que les particularités du logement étudiant soient reconnues. Prenons un exemple caricatural, mais Ô combien problématique pour le logement conventionné pour étudiant.

Dans le logement conventionné, la règle est de partir du cas général – le logement familial – et d’essayer par petites touches de l’adapter à l’attente et aux besoins d’un public spécifique. C’est oublier un peu vite que le besoin d’habitat des jeunes en formation et le besoin de logement des familles ne se rejoignent que sur très peu de points. Mobilité d’un côté, stabilité de l’autre ; logements “à durée déterminée” contre installation à long terme… On le voit, entre les étudiants et les familles, c’est la nature même de la fonction d’habiter qui est différente. Dès lors, la gestion d’une résidence universitaire revêt des aspects très particuliers, forts éloignés de la gestion d’ensemble HLM familiaux. Or, les résidences universitaires, qu’elles soient exploitées par un bailleur, par un CROUS ou par une association dédiée, sont régies par les mêmes règles du CCH : celles des logements familiaux. Une clarification doit donc bien prendre en compte les spécificités du monde étudiant. 

Nous proposons que le financement des nombreux espaces communs, rendus obligatoires par la loi, puisse être inclus dans l’assiette de calcul des PLS – et non uniquement la surface habitable. Une mesure simple, rapide et efficace pour sécuriser l’exploitation des résidences pour étudiants, dans lesquelles il fait globalement bon vivre – comme le montre le sondage Occurrence. n

www.aires.fr

Baromètre d’attractivité des résidences AIRES

Pour ce « baromètre d’attractivité des résidences AIRES », plus de 5 000 réponses ont été obtenues entre le 20 octobre et le 15 novembre derniers – ce qui fournit « un échantillon extrêmement robuste. »

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